L’annonce par l’UPA, le REM et la Ville de Brossard le 3 avril dernier d’un projet de fiducie foncière agricole (FUSA) concernant des terres agricoles à proximité du terminus du REM ne peut que susciter de l’intérêt… et des questions.
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1162352/protection-terres-agricoles-station-rem-brossard
Tout d’abord, il peut apparaître paradoxal que des organismes et des institutions, telle qu’une ville de banlieue et qu’une infrastructure de transport habituellement « dévoreuses » de territoire agricole se portent ainsi à la défense de celui-ci. Voir l’entente tripartite:
Dans le même temps, on peut se demander si l’ouverture de cette station de terminus du REM n’a pas vocation d’entraîner d’autres développements résidentiels, et donc d’autres formes d’étalement urbain, plutôt que du développement agricole. Il y aura donc lieu de s’intéresser de près au contenu des projets de mise en valeur prévus par cette FUSA et aux formes concrètes de redynamisation du territoire laissé en friche depuis si longtemps le long de l’autoroute 10.
Il pourrait être amusant de voir le REM proposer de transporter, à même son infrastructure, les produits de producteurs maraîchers vers les marchés publics de la région métropolitaine!
Dans le même temps, on ne peut que se féliciter qu’un des effets de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (LPTAA), en dépit de nombreuses insuffisances et de multiples formes d’érosion continue du territoire protégé, ait été la prise de conscience tardive par les agglomérations urbaines de l’intérêt de disposer sur leur propre territoire de zones agricoles protégées. On peut penser que sans la LPTAA, des villes comme Montréal ou Laval (et peut-être bientôt Québec?) n’auraient jamais pu réaliser la richesse que représente ce territoire agricole.
Guy Debailleul
Vice-président de l’Institut Jean-Garon
Création d’une FUSA pour les terres agricoles autour de la future gare REM à Brossard
À titre de président de Protec-Terre, j’ai assisté avec intérêt à la conférence de presse du 3 avril dernier à la Maison du développement durable. L’endroit était choisi pour annoncer l’intégration de principes de développement durable au projet d’infrastructure du futur REM. Cette annonce visait à confirmer la création d’une fiducie d’utilité sociale agricole (FUSA) par la Caisse de dépôts et placements du Québec (CPDQ), l’Union des producteurs agricoles (UPA) et la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM). Cette fiducie est destinée à préserver les terres agricoles bordant la future gare de Brossard sur la Rive-Sud, au croisement des autoroutes 10 et 30.
Je ne peux qu’applaudir au choix de la FUSA puisque Protec-Terre a introduit et développé ce modèle au cours des 20 dernières années au Québec. Quelles sont les caractéristiques de ce modèle qui le rendent unique en matière de protection de la terre?
Tout d’abord, le fait qu’un bien est déposé en fiducie pour réaliser une mission (l’affectation), et que cette mission ne peut être modifiée pour toute la durée de la fiducie, garantit le maintien de l’engagement formulé par les créateurs. Deuxièmement, une FUSA peut être perpétuelle; ainsi les terres agricoles déposées dans cette fiducie ne pourront plus jamais être utilisée à d’autres fins que la production d’aliments. En troisième lieu, une fois déposée dans une fiducie, le bien n’a plus de propriétaire, il n’existe que pour la mission pour laquelle il est affecté. Nous sommes donc dans le domaine du commun : ni propriété publique, ni propriété privée, mais bel et bien une ressource utilisée et maintenue pour le bien commun des communautés de proximité. Ce sont, entre autres, ces caractéristiques qui font de la FUSA un modèle innovateur et structurant en matière de durabilité.
Lors de la conférence de presse, le président de l’UPA, Marcel Groleau, était, de son propre aveu, perplexe quant au caractère de perpétuité de la FUSA. Nous voyons, au contraire, la chose souhaitable et bien réalisable. Il s’agit de mettre en place les conditions qui permettent de conserver la terre arable et fertile pendant des centaines d’années, voire des millénaires.
Comment? En y respectant l’écosystème naturel des sols et de la vie qui s’y trouve, tout autant que l’environnement qui entoure les terres protégées. Le Québec est à l’avant-garde des cultures biologiques, biodynamiques et agroécologiques, sans compter les recherches et le développement autour du concept de « sols vivants » qui fait de plus en plus d’adeptes. En ce sens, l’annonce de l’UPA de vouloir s’associer à la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPÉ) en vue de la distribution des aliments produits sur la FUSA démontre une volonté d’encourager la culture écologique qu’il faut aussi féliciter.
C’est donc une initiative qu’il faut appuyer, tout en souhaitant que d’autres décisions autour de ce projet et de ses participants en feront une vitrine de créativité durable vraiment intégrée. Voici quelques questions qui me viennent à l’esprit en ce sens :
- Comment la relève pourra-t-elle avoir accès à ces terres? Quels mécanismes seront mis en place à cet effet?
- Les municipalités environnantes pourraient-elles approvisionner les cafétérias des édifices publics à partir des aliments produits sur les terres protégées?
- Les bâtiments du REM, tous beaux et vitrés qu’ils soient, seront-ils efficaces énergétiquement? Puisqu’ils seront chauffés en hiver et climatisés en été, a-t-on pensé à un système géothermique pour fournir ces réseaux? Et si tel était le cas, pourquoi ne pas inclure le chauffage de serres ou bâtiments des futurs producteurs?
Mon propos est à l’effet que l’ensemble d’un projet de développement durable devrait viser à intégrer des éléments durables à tous les niveaux, et qu’on ne me serve pas l’argument de la rentabilité à court terme pour rejeter les idées innovantes, puisque durabilité implique le long terme et même le très long terme quand on vise la perpétuité!
En terminant, tout en réitérant notre appui à la mise sur pied de cette FUSA, il faut toujours garder en tête qu’une fiducie d’utilité sociale a pour bénéficiaires les gens de la communauté. Nous suggérons d’accorder une place au conseil fiduciaire à des représentants de la société civile autres que les élus et promoteurs du projet et ce, afin d’avoir aussi la voix de la communauté dans l’administration de la fiducie. Il pourrait s’agir, par exemple, d’un organisme communautaire local impliqué en sécurité alimentaire. Protec-Terre offre un service-conseil pour la création de FUSA aux quatre coins du Québec.
Forts d’une expérience d’une vingtaine d’années dans ce domaine, nous nous faisons un devoir de nous assurer que la communauté de proximité soit représentée dans tous les projets de FUSA que nous accompagnons.
Hubert Lavallée
Président de Protec-Terre