Entrevue avec Jacques Proulx
Par Simon Bégin
Il a été président de l’UPA pendant douze ans, fondateur de Solidarité rurale, acteur et observateur du monde agricole depuis 50 ans. Avec tout le recul et la sagesse que cela permet, Jacques Proulx, car c’est de lui qu’il s’agit, ne ménage pas ses mots à l’endroit de la grande occasion ratée qu’a été, selon lui, le Rapport Pronovost.
Ainsi, il n’hésite pas à parler de manque de vision, de courage et de leadership de la part ceux qui avaient le pouvoir de changer les choses au cours de ces dix années perdues. « À ce moment-là, Pronovost, c’était une révolution en agriculture, un coup de barre essentiel pour bâtir l’agriculture de demain. Tous les corporatismes se sont braqués et les politiques n’ont pas eu le courage de faire les changements qui s’imposaient ».
Changer de paradigme
Jacques Proulx estime qu’il faut questionner les grandes politiques agricoles à tous les dix ans, les ajuster et même changer de paradigme lorsqu’il le faut. « La dernière fois que cela s’est fait, c’est sous le premier gouvernement de René Lévesque, avec Jean Garon, et même là, c’était la concrétisation d’idées qui étaient débattues depuis le Rapport Héon dans les années 50 ».
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le Québec agricole n’abuse pas des grandes remises en question. « Depuis Pronovost, on a rattaché des bouts de broche, bouché des trous à moitié ici et là, mais rien de fondamental n’a été fait. Or, même les meilleures politiques se dénaturent avec le temps et ne répondent plus aux réels besoins de la société ».
« Je crois profondément à la mise en marché collective des produits agricoles, à la stabilisation des revenus et à la protection du territoire agricole mais on les a dénaturées en ne voulant pas les faire évoluer », proclame haut et fort Jacques Proulx. « Quand la gestion de l’offre mène à toujours plus de concentration, quand la stabilisation verse des millions à des meuniers-intégrateurs ou quand la protection du territoire empêche la relève, ça n’a pas de bon sens. Or, dès que tu touches à quelque chose, c’est la levée de bouclier ».
Pourtant, le Rapport Pronovost donnait un plan de match extraordinaire pour ajuster tout cela sans rien détruire. Il y avait aussi une grande ouverture sur des choses dont on savait qu’elles s’en venaient, comme le bio, les nouvelles cultures, la valeur ajoutée ou les circuits courts.
« C’était une vision d’avenir il y a dix ans. On ne peut pas réécrire le passé mais, aujourd’hui, on peut-tu aller de l’avant, on peut-tu sortir de la simple production d’aliments bruts pas payante, la mise en marché collective, on peut-tu la faire autrement ? », demande-t-il dans un cri du cœur.
Combattre la peur
Selon Jacques Proulx, un facteur explique plus que tout autre cet immobilisme en agriculture : la peur. Celui qui a dirigé l’UPA pendant douze ans déplore cette attitude qui fait que le simple fait de poser des questions est perçu comme une attaque.
Or, selon lui, l’organisation est beaucoup plus forte que cela. « Même s’il y avait un référendum sur le monopole syndical, c’est sûr que l’UPA le gagnerait haut la main. Par contre, plus tu te cramponnes à tes privilèges, plus tu crées du mécontentement », affirme celui qui ne s’est pas gêné pour le dire à son successeur. Jacques Proulx ne jette pas la pierre à la seule UPA mais à l’ensemble des leaders agricoles qui n’ont pas voulu ou su expliquer à leur base les changements nécessaires.
Un avenir préoccupant
Jacques Proulx n’a pas été impressionné par le geste spectaculaire du premier ministre qui a brandi le Rapport Pronovost, lors du récent Sommet de l’alimentation, en affirmant qu’il est temp de passer à l’action. « Il est là depuis quatre ans, son parti est au pouvoir depuis quinze ans. Pourquoi n’ont-ils rien fait depuis ? », se demande celui qui n’a pas une grande confiance dans la future politique bio-alimentaire annoncée pour le printemps prochain.
« Je m’attends à une collection de petites mesures dans un bel emballage juste avant les élections », affirme-t-il, tout en souhaitant se tromper. Car, l’avenir qu’il entrevoit à défaut d’un virage majeur n’est guère réjouissant. « Ça va accélérer la concentration à tous les niveaux, la concentration des terres, la concentration de la transformation et de la distribution. Quand on prête aux gros et jamais aux petits, ça ne peut qu’aller dans ce sens-là ».
Jacques Proulx a toujours été un grand défenseur de l’occupation du territoire et cette question le préoccupe particulièrement. « Est-ce que c’est cela qu’on veut pour le Québec, des rangs où il y avait douze familles et où il n’en reste plus qu’une. Il faut qu’il y ait du monde dans les campagnes et pas seulement des machines ».
Chose certaine pour lui, si la future politique bio-alimentaire s’avère une autre occasion ratée de faire bouger les choses en profondeur, comme l’a été le suivi du Rapport Pronovost, « il n’y aura pas de lumière au bout du tunnel ».
[…] Une grande occasion ratée […]
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Que j’aime la lucidité de ce monsieur sur le monde agricole. Merci M. Proulx
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