Corinne Gendron
Professeure titulaire, département de Stratégie, Responsabilité sociale et environnementale, ESG, UQAM
Parce que nous sommes désormais majoritairement urbains, la terre nous est devenue étrangère; ses fruits nous parviennent enrobés, apprêtés et transformés. Et tandis qu’ils traversent les saisons et les océans, on ne sait plus qui les cueille ni quels traitements ils ont subi.
Dans l’espoir de nourrir toujours plus de gens à moindre coût, la révolution verte a ouvert la voie à la monoculture, aux procédés chimiques, à l’industrialisation et aux marchés internationaux. Les agriculteurs composent désormais avec une machinerie coûteuse, de nouvelles technologies et des circuits de distribution de plus en plus complexes, tout en étant à la merci des cours mondiaux.
De leur côté, les consommateurs s’inquiètent des pesticides, les riverains questionnent l’utilisation des engrais et la concentration de la production, les écologistes s’alarment de la qualité de l’eau ou de l’appauvrissement des sols et beaucoup de gens, incluant les agriculteurs, dénoncent l’accaparement des terres. Les États sont appelés à la rescousse à coup de règlements, de zonage et de subventions, mais n’est-ce pas notre modèle agricole lui-même qui pose problème?
C’est que la révolution verte a fait de l’agriculture une industrie alors qu’elle est bien davantage. Outre qu’elle répond à un besoin fondamental, l’agriculture est ancrée dans un territoire, animée par une communauté et nécessairement articulée au potentiel et aux cycles naturels. À l’opposé d’une politique principalement tournée vers l’exportation qui mise sur la productivité et la compétitivité, cette multifonctionnalité appelle une perspective large du secteur agricole, qui tienne compte à la fois de la sécurité alimentaire, de l’environnement, du tissu social et des petits agriculteurs.
Mais cela suppose aussi de conclure un nouveau contrat social entre le monde agricole et le monde urbain, dont il a été déconnecté, et de reconstruire la relation entre le consommateur et un producteur encore trop peu visible.
C’est précisément le sens de plusieurs innovations sociales qui ont vu le jour ces dernières années et qui témoignent de la volonté des acteurs sociaux de faire les choses autrement. Si la révolution verte visait à produire plus, les initiatives d’aujourd’hui cherchent à produire mieux, en faisant de l’agriculture un véritable projet de société axé sur la qualité des aliments, la protection de l’environnement, la préservation des terres et la dignité des agriculteurs.
À l’échelle internationale, le commerce équitable avait déjà proposé de raccourcir la chaîne de distribution et de sensibiliser les consommateurs du Nord aux conditions de vie des producteurs du Sud. Au Québec, plusieurs initiatives ont mis de l’avant l’achat local et les échanges directs entre les consommateurs et les producteurs.
Les paniers biologiques distribués dans les villes redonnent sens aux légumes de saison que mettent à l’honneur de plus en plus de chefs. Les marchés de quartier contribuent à la sécurité alimentaire et ouvrent de nouveaux espaces de convivialité. Et, même juchée en haut des toits, l’agriculture urbaine reconnecte le citadin avec la terre, en multipliant les oasis de verdure. Pendant ce temps, les pratiques agricoles évoluent et de nombreux producteurs font figure de pionniers en développant des méthodes de production inédites, respectueuses du potentiel et des cycles écologiques. Les produits biologiques, les appellations d’origine contrôlée et les autres marques distinctives sont prisées par une nouvelle génération de consommateurs en quête de saveurs et d’authenticité.
Mais ces initiatives doivent être portées par une nouvelle politique agricole qui reconnaît les enjeux et la multifonctionnalité de l’agriculture et fait droit au principe de subsidiarité, en priorisant la production et les décisions locales. Il est temps de remplacer le soutien à la production par des incitatifs à la protection de l’environnement et des ressources de même que par une reconnaissance de la qualité des produits et de l’excellence des pratiques agricoles.
Il faut protéger les agriculteurs de la volatilité des cours, rétribuer leur travail d’aménagement et de mise en valeur de la terre et inspirer les nouvelles générations qui dynamisent le territoire. Il faut en parallèle rétablir les ponts entre les urbains et le monde agricole, sensibiliser le consommateur aux défis d’une agriculture saine et respectueuse de l’environnement. Le temps est venu pour un nouveau contrat social entre le monde urbain et le monde agricole.
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