LES PORTEURS DE CHANGEMENT (suite): La force du réseautage et du rêve partagé

LES PORTEURS DE CHANGEMENT (suite)

Institut Jean-Garon

Preuve que le changement est déjà là, il existe au Québec une mise en marché collective différente, en dehors des méandres de la gestion de l’offre et des plans conjoints. Mentionnons celle pratiquée par les membres de la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPÉ), notamment à travers la vente de groupe aux marchés Jean-Talon et Atwater ainsi que des paniers hebdomadaires durant l’hiver. Nous avons pu discuter avec deux de ses membres, en marge de l’assemblée générale annuelle tenue en janvier. Mais présentons-les d’abord.

François Handfield a créé, avec sa conjointe Véronique Bouchard, la Ferme « aux petits oignons » à Mont-Tremblant (http://fermeauxpetitsoignons.org/). En plus des paniers de produits biologiques pour plus de 600 familles, la ferme écoule une quantité équivalente de légumes via le marché d’été de Val-David et la boutique à la ferme. Ces jeunes agriculteurs bardés de diplômes collectionnent les distinctions soulignant la qualité de leurs pratiques et de leur gestion : Relève agricole (MAPAQ), Excellence (La Financière agricole), Équiterre et autres. En 2017, ils ont gagné le Concours Jeune agriculteur d’élite du Canada; le congrès de l’UPA a salué cette annonce par une ovation debout.

Léa Charest vit à Lotbinière avec sa famille, où elle met toute sa passion pour l’agronomie dans l’animation du grand laboratoire à ciel ouvert qu’est « La Ferme Hantée ». Elle y applique les principes de l’alimentation vivante, de la fourmi à la fourche, à la fourchette afin de produire les aliments « Grains de génie ». La production maraîchère se combine avec des micro-pousses et des grandes cultures de même qu’avec des mets préparés (ex. choucroute de choux rouges, salade de racines asiatiques). On peut se procurer tout ça dans plusieurs marchés publics de la région de Québec ou dans son épicerie de Limoilou, qui est aussi le lieu de transformation des produits (http://accommodationbio.ca/).

François Handfield et Léa Charest nous ont parlé de leur arme secrète : le réseautage. Il a permis, à l’aube des années 2000, à un groupe d’étudiants de partager leur goût d’une agriculture différente. Après des années d’échanges informels, la CAPÉ a finalement été créée en 2013, pour regrouper des praticiens de l’agriculture de proximité écologique ainsi que des acteurs œuvrant dans ce domaine (https://www.cape.coop/).

Le réseautage est un outil de base pour la formation et la mise en marché collective des produits de ces 190 fermes. La proximité est physique, mais aussi, et surtout, sociale. Ainsi, chaque automne, un grand rassemblement de trois jours permet de partager le savoir-faire et de promouvoir l’entraide (conférences, visites de fermes, discussions). Plus de 300 personnes y ont participé en 2017 (on a même dû refuser du monde!)

Sur la base de la bonne foi et d’ententes de gré à gré, le réseautage permet aussi de regrouper l’achat d’intrants et de répartir la production. Ainsi, un tel se concentre sur les carottes bio, telle autre sur le blé germé. Cela permet de constituer une masse critique pour répondre à des demandes qui vont au-delà des paniers de légumes et de faire entendre la voix du changement.

Et cette voix a bien des choses à dire. La CAPÉ n’est pas en guerre contre rien ni personne. Bravo pour les beaux succès du modèle dominant mais les autres ont-ils droit à plus que de la condescendance et à la part congrue des aides gouvernementales qui sont trop souvent leur lot?

En 2007, François Handfield et Léa Charest avaient déposé, avec le Réseau des jeunes maraîchers écologiques, un mémoire devant la Commission Pronovost.  Leurs attentes étaient élevées et, à l’exception notable d’une bonification partielle de l’aide à l’agriculture bio, elles demeurent inassouvies à l’aube de la future politique bioalimentaire… dix ans plus tard.

Pour eux, la gestion de l’offre, c’est « Attention – Fragile ». Il faut la préserver à tout prix, même si elle ne les englobe pas, en maraîchers qu’ils sont. Toutefois, plusieurs membres de la CAPÉ aimeraient bien diversifier leur production, notamment avec des petits élevages. Mais il y a de gros obstacles : LA GESTION de la gestion de l’offre et des plans conjoints, c’est quelque chose!

D’une place accrue pour les jeunes de la relève et les consommateurs dans les offices de commercialisation, à l’assouplissement des règles qui entravent l’expansion des circuits courts (article 63 de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles…), en passant par l’octroi plus généreux de droits de production hors quota, leurs attentes visent le noyau dur de la résistance aux changements. Selon eux, c’est là qu’on verra si la future politique est cosmétique ou s’attaque aux vieux paradigmes.

Ils veulent aussi une protection du territoire agricole plus rigoureuse, témoins qu’ils sont de toutes sortes d’entourloupettes pour contourner la loi et d’un affaiblissement de l’expertise gouvernementale au sein de la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ), dont ils constatent la mollesse devant les infractions commises. En outre, ils déplorent le fait que n’importe quel résident du Québec peut acheter une terre agricole. Entre les pouvoirs financiers, qui considèrent la terre comme un objet de spéculation ou une valeur refuge, et les riches urbains désirant s’accaparer de beaux paysages pour y bâtir des maisons de luxe, il y a peu de place sur le marché pour ceux qui veulent faire de l’agriculture et qui sont confrontés à des prix qui montent sans cesse.

Ces porteurs de changement posent un diagnostic inquiet: quand on compte l’argent mis par le gouvernement dans les deux programmes agricoles majeurs que sont l’assurance stabilisation des revenus et le remboursement des taxes foncières (qui sont de plus en plus élevées), il en reste alors bien peu pour développer l’agriculture. Comme en matière de santé, on investit massivement dans le curatif alors que la prévention porteuse à long terme demeure sous-financée. C’est pourquoi la transformation progressive de l’assurance stabilisation en régime de soutien universel proposée dans le rapport Pronovost les a allumés. À défaut, ils réclament l’équité entre les différents modes de production et la fin du « tout dans le même panier ». Ils aspirent également à plus de soutien technique objectif et à moins de conseillers agronomiques liés à des fournisseurs.

Bref, après avoir vu le Premier ministre Couillard brandir le rapport Pronovost en promettant d’agir, ils ont bien hâte de voir le « comment » des beaux discours entendus.

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