Bernard Vachon

Bientôt 41 ans de zonage agricole. Regard critique pour des ajustements

Mardi le 12 novembre 2019, l’Institut Jean-Garon organise une réflexion sur l’avenir de la Loi de protection du territoire et des activités agricoles. Bilan et débat avec la participation de spécialistes de la question. Lieu : Musée national des beaux-arts du Québec. Salle multimédia du pavillon central. Invitation au grand public. Texte produit dans le contexte de cet événement.

Une loi exceptionnelle qui fait l’envie de plusieurs pays et provinces

La plupart des pays et des provinces canadiennes sont aux prises avec une croissance urbaine qui s’étale dans l’espace et qui dévore les terres agricoles, une ressource précieuse pour l’autosuffisance agroalimentaire, et non renouvelable.

Sous le premier gouvernement du Parti québécois de René Lévesque, une loi forte et courageuse a été adoptée le 22 décembre 1978 poursuivant deux objectifs : protéger les terres à bon potentiel agricole et mettre un terme à l’étalement anarchique des villes. Il d’agit de la Loi sur la protection du territoire agricole (et des activités agricoles depuis 1997).

La zone qui définit le territoire agricole du Québec couvre 63 049 kilomètres carrés, soit 3,8 % de la superficie totale du Québec. Les sols dits à haut potentiel, qui se situent dans les catégories 1, 2 et 3, ne représentent que 2 % du territoire québécois. Les terres arables constituent un patrimoine particulier qui est soumis, au Québec comme partout dans le monde, à d’incessantes pressions. À mesure que s’accroissent l’urbanisation et l’industrialisation, ce sont surtout les terres agricoles qui reculent pour faire place à ces nouvelles occupations.

Ce qui rend cette loi particulièrement contraignante et potentiellement efficace depuis son adoption, c’est l’ampleur du territoire désigné agricole pour fin de protection et les cinq interdictions imposées quant aux usages des sols : interdiction d’utiliser un lot à une fin autre que l’agriculture ; interdiction d’effectuer un lotissement ; interdiction d’aliéner ni démembrer un ensemble de lots contigus (à cet égard, sont considérés comme contigus, des lots ou parties de lots qui seraient contigus s’ils n’étaient séparés par un chemin public et ne peuvent en conséquence être vendus séparément) ; interdiction d’utiliser une érablière à une autre fin qu’acéricole, ni y faire la coupe des érables, sauf pour des fins sylvicoles de sélection et d’éclaircie ; interdiction de procéder à l’enlèvement du sol arable pour fins de vente, ni y étendre en superficie une telle exploitation déjà commencée. L’application de cette loi relève d’une Commission centralisée, la Commission de la protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ), chargée du maintien de l’intégrité de la « zone agricole permanente » et mandatée pour répondre à toute demande d’autorisation pour des usages ou des actes autres que ceux prescrits dans la loi.

Une telle loi apparaissait comme une mesure foncière exceptionnelle pour protéger les terres agricoles et mettre un frein à l’étalement urbain, d’autant plus que la zone agricole encerclait de près les espace urbains.

Au lendemain de son adoption par l’Assemblée nationale, une revue américaine consacrée à la ruralité, Country Journal, titrait un de ses article The Green side of Mister Lévesque, présentant le caractère audacieux et les mérites de cette loi. Cette audace était attribuable au Ministre de l’agriculture, Jean Garon, qui avait de profondes convictions quant à la nécessité de sauvegarder notre mince patrimoine de bonnes terres agricoles et qui, durant la période de consultation et la commission parlementaire qui avaient précédé l’adoption de la loi, a su tenir tête aux lobbys des développeurs et des instances municipales.

Cette protection passait nécessairement par le maintien de la croissance urbaine à l’intérieur de périmètres d’urbanisation serrés autour des villes (ce qu’offrait désormais la « zone verte » qui encerclait les villes et villages), mettant fin à la spéculation foncière et à la dilapidation dont les terres agricoles étaient l’objet. Ainsi, deux objectifs étaient poursuivis par les dispositions de cette pièce législative majeure qui en faisait une mesure particulièrement forte d’aménagement du territoire : mettre un frein sévère à l’étalement urbain et protéger les sols à bon potentiel agricole.

Bienfaits et méfait de la Loi

La Loi sur la Protection du territoire et des activités agricoles – LPTAA a eu sans conteste, globalement, des effets bénéfiques quant à la protection des terres agricoles et à la gestion de l’étalement urbain. Quelle serait aujourd’hui le visage du Québec habité n’eut été de l’adoption et de la mise en œuvre de cette loi ? On n’ose y penser.

Mais tout au cours de son application, plusieurs irritants sont apparus soulevant critiques et demandes de modifications. Voici, brièvement esquissé, ce qui m’apparait les principales déficiences de la loi partagées par d’autres observateurs et analystes :

  1. La porosité du processus de décision de la CPTAQ aux pressions des développeurs urbains et des municipalités généralement favorables aux projets de développement pour accroître leurs recettes fiscales tirées de la taxe foncière. Ce qui est particulièrement dommageables pour les terres en périphérie des agglomérations de Montréal et de Québec qui sont classées parmi les meilleures au Québec. Cette porosité crée par ailleurs de sérieuses brèches dans ce qui se voulait un rempart contre l’étalement urbain. Certains observateurs comparent la zone agricole de la région de Montréal à un fromage gruyère tellement des « spot developments » ont été autorisés dans la zone verte. L’argument du « besoin d’espaces à bâtir », insuffisamment balisé dans la loi, a été la porte ouverte (particulièrement dans les secteurs périurbains de Montréal et de Québec) aux pressions des autorités municipales et des développeurs urbains pour toujours plus d’autorisations d’usages non agricoles sur des sols à haut potentiel agricole.
  • Dans l’ensemble du Québec, seulement 53 % du territoire zoné agricole est occupé par des entreprises agricoles actives. Si ce pourcentage est plus élevé dans certaines régions (comme en Montérégie, où il atteint 74 %), il est d’à peine 30 % dans certaines régions périphériques (rapport Pronovost). La taille démesurée de la zone agricole permanente englobe certes des infrastructures, des équipements urbains et diverses servitudes publiques, mais aussi, et surtout, de vastes secteurs pauvres impropres à une agriculture rentable, des « terres de roches » désertées par la pratique agricole et en friche. Ce qui constitue ici un gel de terres qui pourraient avantageusement être affectées à d’autres usages, notamment dans les municipalités en dévitalisation. La loi devient alors un obstacle à la diversification des usages des sols (tourisme, villégiature, services de proximité, résidences, entreprises de transformation et de services…) susceptible de relancer le dynamisme économique et social de ces communautés en difficulté. Et depuis 1978, le nombre de fermes ne cesse de diminuer ainsi que les superficies en culture, la friche et le reboisement occupant la place désertée à défaut d’usages plus utiles économiquement et socialement auxquels fait obstacle l’application de la LPTAA.
  • Dans le processus décisionnel de la Commission de protection du territoire agricole – CPTAQ, il n’est pas suffisamment pris en compte les conditions socioéconomiques des milieux dans une perspective de développement local et régional, en régions intermédiaires et périphériques notamment. Le zonage agricole ne devrait pas constituer une embûche aux efforts locaux de redynamisation économique et sociale dans les communautés rurales en difficulté. L’absence du principe de « différenciation » qui serait à la base d’une modulation appropriée et efficace de la loi constitue, de toute évidence, un déficit de cette pièce législative. Les membres de la CPTAQ peuvent invoquer à loisir ce déficit de différenciation pour appliquer avec rigidité les contraintes de la loi là où pourtant il n’y a ni sols de qualité, ni pression urbaine, mais un réel besoin de revitalisation ; « la loi, c’est la loi ». Il faut introduire des mécanismes pour favoriser une véritable approche différenciée dans l’application de la loi et une sensibilité aux difficultés auxquelles sont confrontées plusieurs municipalités rurales.
  • La disparité des décisions de la Commission, et les motifs invoqués tant pour autoriser des demandes que pour en refuser, témoignent d’incohérences qui portent atteinte à la crédibilité de cet organisme. Ce qui est attribuable, en partie, à la marge discrétionnaire présente dans le processus décisionnel dont l’expression est particulièrement notable dans un mode de gestion du « cas par cas ».
  • Le refus dogmatique d’autoriser la subdivision des terres zonées, empêche de créer des unités agricoles de tailles petites et moyennes propices à un éventail élargi de dimension des fermes, de modes de gestion et de production. La pratique agricole a beaucoup évolué depuis 1978. La tendance forte à la « production biologique », aux « circuits courts », et les préoccupations associées à la transition écologique ont fait naître de nouveaux modèles de fermes. Ce qui importe ce n’est pas la taille des exploitations, mais la mise en valeur du potentiel agricole et la contribution des établissements à l’effort d’autosuffisance agroalimentaire dans un souci de santé publique et de vitalité locale. Il est démontré par ailleurs que les fermes de petites et moyennes tailles s’adaptent plus facilement à un mode de gestion qui prend en compte les principes du développement durable.
  • Adoptée un an avant la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (novembre 1979), la loi du zonage agricole a été maintenue depuis comme préalable et prioritaire à cette dernière. Il peut apparaître inusité, voire incongru, qu’une mesure sectorielle, en l’occurrence une loi foncière, ne soit pas harmonisée, voire intégrée, à une loi globale d’aménagement du territoire. L’harmonisation des deux lois avait été envisagée par le parrain de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, le ministre Jacques Léonard, au lendemain de l’adoption de celle-ci, ce qui ne s’est jamais concrétisé. Une procédure d’ajustement de la LPTAA serait l’occasion de voir à cette harmonisation, sans pour autant que les principaux objectifs de la LPTAA soient dilués et compromis.

Zonage agricole et aménagement du territoire

Le zonage agricole, comme tout autre type de zonage en aménagement du territoire (résidentiel, industriel, commercial, récréatif, touristique, etc.) est une mesure discriminatoire dont la légitimité repose sur des intérêts collectifs supérieurs. Dans le cas de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, la légitimité repose sur deux objectifs majeurs : 1. protéger le faible patrimoine agricole du Québec dans la perspective de pourvoir au plus haut degré d’autosuffisance agroalimentaire ; 2. contrer la problématique de l’étalement urbain. Deux objectifs qui sont éminemment du domaine de l’aménagement du territoire.

Si les terres à haut potentiel agricole de la plaine du Saint-Laurent et de ses vallées secondaires ont besoin d’une protection renforcée, plusieurs secteurs à faible potentiel agricole et souvent délaissés par l’agriculture, notamment sur les plateaux laurentien et appalachien et en régions périphériques, attendent une attitude d’ouverture et de souplesse du législateur autorisant d’autres usages de nature à injecter une diversification d’activités porteuses d’une nouvelle vitalité locale et régionale; autorisant aussi des subdivisions pour des fermes de tailles petites et moyennes.

Le renforcement de la protection des terres agricoles en zones périurbaines de la vallée du Saint-Laurent, ne pourra se faire sans un consensus social et une volonté politique forte de densifier, voire de verticaliser davantage les aires urbaines. Densifier les villes tout en les rendant durables d’un point de vue économique, social, et environnemental.

Parce que les sols à bon potentiel agricole sont inextensibles, leur protection ne peut se faire sans contraindre la croissance urbaine : il faut simultanément densifier (croître de l’intérieur) et promouvoir un modèle polycentrique de développement déployé en région afin de réduire la pression sur les grands pôles de Montréal, Québec, Trois-Rivières, etc. Il y a là un champ d’expertise que les urbanistes, architectes, géographes, économistes et sociologues doivent investir, pour proposer de nouveaux scénarios d’occupation du territoire et des modèles d’urbanisme et d’habitation de densités variables, sans négliger pour autant la qualité de vie et les besoins des différents groupes d’âge et de conditions sociales. L’aménagement spécifique des espaces ruraux n’a jamais suscité beaucoup d’intérêt au Québec. Il serait temps de s’en soucier et de faire preuve d’imagination et d’innovation. Aussi, proposer de nouvelles sources de revenus aux municipalités en complément de la taxe foncière. C’est à ces conditions que les bonnes terres agricoles du Québec pourront réellement être sauvegardées et les villes maintenues dans des périmètres raisonnés sans sacrifier sur leur viabilité.

L’intelligence de la LPTAA doit s’affirmer par une capacité modulée de sévérité et de souplesse à travers une approche différenciée qui prend en compte les conditions de vie des communautés tout autant que la qualité des sols, et rigoureusement affranchie des pressions des développeurs et des municipalités.

Des prises de position hautement crédibles à l’appui d’ajustements à la LPTAA

C’est pour traiter adéquatement les deux types de situations agricoles qui évoluent dans des contextes géographiques et socioéconomiques aux caractéristiques différenciées, voire opposées (zones périurbaines des grands centres de la vallée du Saint-Laurent d’une part, celles en régions intermédiaires et périphériques d’autre part), et mettre fin à l’incohérence d’une application au « cas par cas », que des ajustements à la LPTAA s’avèrent nécessaires. Mais aussi pour favoriser d’autres modèles de production et de gestion en agriculture, tels que préconisés par le Rapport de la Commission Pronovost sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois de 2008[1].

Au Chapitre 11 de ce rapport, titré La protection du territoire agricole et le développement régional, on peut lire :

• Le territoire agricole est un patrimoine collectif qui continue de subir de fortes pressions, en particulier dans les zones périurbaines. Il faut donc maintenir et même renforcer les mesures de protection afin de préserver un territoire consacré à une agriculture durable.

  •  Notons également que 37 % de la superficie totale des municipalités rurales ceinturant les villes des communautés métropolitaines de Montréal et de Québec n’a pas de vocation agricole ou forestière; ces espaces peuvent donc être destinés à d’autres usages.

• En dehors des zones périurbaines, il est impératif de faire évoluer la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (LPTAA) afin de favoriser une diversification des activités associées à l’agriculture, dans la perspective d’une occupation dynamique du territoire rural.

• La gestion actuelle de la LPTAA rend difficile l’émergence de nouvelles formes d’agriculture requérant de plus petites superficies, les règles d’application de la CPTAQ privilégiant nettement un mode plus traditionnel de production faisant appel à de grandes superficies;

• Compte tenu du caractère multifonctionnel de l’agriculture et de l’agroalimentaire, il faut situer leur potentiel de développement dans un exercice élargi et participatif de planification de l’aménagement et de développement du territoire. (…)

Recommandation 40.

Que le développement du territoire rural soit planifié selon un mode de gestion favorisant la participation des citoyens à l’échelle locale ou régionale et dans une optique d’occupation dynamique du territoire. (…)

Le territoire agricole et la revitalisation des milieux ruraux. Autant il importe de consolider et même de raffermir les mécanismes de protection du territoire agricole dans les zones périurbaines afin de pouvoir contrer les effets de l’étalement urbain, autant il est essentiel d’assouplir certaines règles d’application de cette loi à l’égard des activités permises dans la zone agricole dans les communautés rurales situées en dehors des grands pôles urbains. L’occupation dynamique du territoire rural du Québec commande en effet une approche renouvelée des activités agricoles et de ses activités complémentaires

Des fermes de toutes tailles. Le fait qu’à peine la moitié de la zone verte soit occupée par des installations agricoles en activité, et que cette situation n’ait guère changé au cours des quinze dernières années, est symptomatique de la sous-utilisation du potentiel agricole. On a ici la démonstration que l’option des moyennes et des grandes fermes ne se traduit pas par une occupation suffisante du territoire agricole. Ce choix trop exclusif, couplé à la difficulté de transférer les fermes à la relève, conduit à terme à une diminution de la population agricole. Ce mode de développement ne répond pas non plus aux impératifs de diversification qui devraient caractériser une agriculture plurielle.

Chaque fois qu’à cause d’un problème de relève, une ferme est achetée par l’agriculteur voisin, on réduit la population active de cette communauté rurale. Sans empêcher ces transactions, il faut, dans une perspective d’occupation du territoire québécois, prendre option en faveur de la préservation d’un nombre optimal de fermes. Le témoignage devant la Commission de la municipalité de Saint-Marcel-de-Richelieu est révélateur à cet égard. Dans cette localité, bien que la taille moyenne des fermes soit supérieure à la moyenne québécoise, on enregistre le plus bas indice de développement économique de la MRC. Même dans les meilleures terres arables du Québec, un certain modèle de développement agricole peut donc conduire à la dévitalisation d’une communauté rurale. Le Mouvement des caisses Desjardins reconnaît que « la concentration de plus en plus grande de la production agricole se fait au détriment de certaines régions qui se trouvent progressivement dévitalisées ». Le secteur agricole et agroalimentaire ne peut pas à lui seul infléchir la tendance au dépeuplement de plusieurs régions et localités rurales, mais il peut et il doit faire partie des solutions qui contribuent à freiner l’accélération du phénomène observée depuis quelques décennies.

Dans ses dispositions actuelles, la protection du territoire agricole empêche ou rend très difficile le démarrage d’une petite ferme, même lorsque le promoteur a manifestement les compétences professionnelles pour gérer une telle installation et que le projet, malgré sa faible taille, paraît viable. On doit reconnaître que certaines productions maraîchères, biologiques ou en émergence ne nécessitent pas de grandes superficies; elles n’en sont pas moins importantes et rentables. Et puis, il doit être possible, en agriculture, comme cela est courant dans d’autres domaines, de « commencer petit » et de croître progressivement, plutôt que de débuter avec une installation déjà à maturité. 

Rapport Ouimet. En avril 2009, dans un rapport intitulé Protection du territoire agricole et développement régional / Une nouvelle dynamique mobilisatrice pour nos communautés[2], celui qui a été président durant 10 ans de la Commission de la protection du territoire agricole, Bernard Ouimet, invoquait parmi les motifs pour des ajustements ciblés et bien circonscrits à apporter à la LPTAA, ce qui suit :

Mieux prendre en considération les enjeux différents relatifs à la croissance urbaine en territoire métropolitain, dans les agglomérations urbaines et en périphérie de ces milieux, et ceux relatifs aux communautés rurales dans les régions plus éloignées et les régions ressources, où l’occupation du territoire est plus que jamais au centre des préoccupations.

Ce que préconisaient aussi la Politique nationale de la ruralité et la coalition Solidarité rurale, (abolies par le gouvernement Couillard en novembre 2014), et plus tard la Stratégie gouvernementale pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires et la loi du même nom (2011 et 2012).

Le 14 mai 2015, devant les membres de la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles, M. Bernard Ouimet réitérait les mêmes demandes en ces termes :

faire évoluer le régime [zonage agricole], sans l’en détourner de ses objectifs fondamentaux, en procédant, notamment, à des ajustements à la LPTAA. Des ajustements ciblés et bien circonscrits pour les motifs invoqués dans le Rapport (d’avril 2009) et qu’il est utile de rappeler ici :

  • Pour faciliter la conciliation des impératifs de protection du territoire et des activités agricoles avec ceux du développement de nos collectivités rurales et urbaines;
  • Pour mieux prendre en considération les enjeux différents relatifs à la croissance urbaine en territoire métropolitain, dans les agglomérations urbaines et en périphérie de ces milieux, et ceux relatifs aux communautés rurales dans les régions plus éloignées et les régions ressources, où l’occupation du territoire est plus que jamais au centre des préoccupations; (…) Une approche territoriale plus objective (plutôt qu’au cas par cas et souvent basée sur des considérations personnelles) prendrait en considération les caractéristiques et les spécificités de chacun des milieux, sans affaiblir la structure foncière de ces milieux (il s’agit du principe de différenciation).

Entre temps, soit en février 2009, dans un rapport percutant qui proposait une nouvelle génération de programme de soutien à l’agriculture[3], Michel Saint-Pierre, ancien sous-ministre à l’agriculture, affirmait que les grandes politiques agricoles mise en place à la fin des années 60 et au cours des années 70 dans le contexte de la Révolution tranquille, avaient bien servi l’agriculture mais devaient être revues à la lumière des nouvelles réalités issues des évolutions qui ont marqué le monde rural et la société tout entière, et qui ont conduit à une agriculture plurielle, nordique, entrepreneuriale et multifonctionnelle.

Dans cette perspective, le travail de Michel Saint-Pierre, effectué en vertu d’un mandat reçu du conseil exécutif, le ministère du premier ministre, constate l’émergence de nouveaux modèles d’agriculture au Québec et accorde une place importante dans son rapport à la reconnaissance du rôle des fermes de petite taille et à la nécessité de leur offrir une assistance spécifique. Michel Saint-Pierre fait siennes les principales observations du Rapport Pronovost et endosse ses recommandations.

Au chapitre 3 du rapport Saint-Pierre consacré au caractère multifonctionnel de l’agriculture, on peut lire :

Lorsqu’on aborde la question du soutien financier à l’agriculture, on peut difficilement faire abstraction de la diversité des conditions dans lesquelles l’agriculture du Québec se pratique. (…)

La Politique nationale de la ruralité, rendue publique en 2007 par le gouvernement du Québec (2e mouture de la PNR), s’appuie justement sur ce constat pour proposer une diversification des activités et un assouplissement des moyens d’intervention pour assurer le développement des communautés rurales. Le concept de multifonctionnalité de l’agriculture s’inscrit dans cette voie.

Contrairement à ce qu’on a pu observer en Europe et aux États-Unis, le Québec n’a pas encore intégré dans ses programmes le concept de multifonctionnalité qui est apparu sur la scène internationale en 1992, lors de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable de Rio de Janeiro. Ce concept fait référence aux différentes dimensions productives, sociales et environnementales des activités agricoles. Il se base sur la reconnaissance des différents rôles de l’agriculture et de sa capacité à participer à la résolution des grands problèmes mondiaux en termes d’alimentation, d’adaptation aux changements climatiques ou de gestion durable des ressources. L’accent est ainsi mis sur la nécessité de prendre en compte les dimensions non marchande l’agriculture.

On considère comme faisant partie de la fonction productive ou économique de l’agriculture des éléments comme la production de biens alimentaires, l’assurance de la sécurité alimentaire et de la santé d’une population, la fourniture de matières premières industrielles, le soutien à l’emploi rural, les contributions à l’agrotourisme et à l’agroforesterie, la production de biocarburants, de ressources médicinales, de produits ornementaux, etc.

La fonction environnementale ou écologique de l’agriculture s’exprime par la production de biens et de services tels que la qualité de l’eau et de l’air, le renouvellement de la fertilité et la protection des sols, la régulation du climat, la prévention des inondations, le traitement des déchets organiques, la préservation des habitats naturels, l’entretien du territoire, le maintien et la création de paysages, la biodiversité, etc.

La fonction sociale de l’agriculture s’exerce par son apport à la viabilité et au dynamisme du tissu social en zone rurale, à l’occupation et à l’aménagement de l’espace et du territoire, sa contribution au bien-être animal, à la transmission des savoir-faire traditionnels, à la conservation de notre patrimoine naturel et culturel, à la qualité de vie et au maintien de certaines valeurs.

La reconnaissance des multiples fonctions de l’agriculture conduit à la mise en place de programmes spéciaux axés sur des résultats souhaités par la société et qui ne peuvent être rémunérés complètement par les activités productives, à la modulation des aides en fonction d’objectifs économiques, sociaux ou environnementaux et à la discrimination positive pour certaines régions où la pratique de l’agriculture est plus difficile. (…)

Recommandation

Le Programme CAM (contrat d’agriculture multifonctionnelle). Afin de reconnaître le caractère multifonctionnel de l’agriculture québécoise et sa contribution à l’occupation dynamique du territoire, nous recommandons au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, en collaboration avec les instances régionales concernées, d’élaborer et de proposer, pour le début de l’exercice2010-2011, un modèle de contrat avec les entreprises agricoles adhérentes offrant une aide forfaitaire découplée en retour de l’obligation de respecter certaines pratiques s’inscrivant dans un objectif de développement durable. L’objectif du contrat est simple : offrir un appui à une activité agricole diversifiée dans des zones au potentiel agricole limité en échange d’une contribution à l’atteinte d’objectifs sociaux ou environnementaux. Le modèle québécois est à élaborer et pourrait prendre des formes diverses selon les caractéristiques de chaque région concernée et les priorités retenues par les structures régionales chargées de l’application de la mesure.

Cette recommandation (programme CAM) fut particulièrement bien accueillie par l’Union paysanne qui fédère les petites fermes au Québec :

« L’élément final le plus réjouissant vient de la proposition de contrat d’agriculture multifonctionnelle (CAM) qui reprend assez fidèlement la vision de l’Union paysanne exprimée dans son Contrat vert2 et depuis ses débuts. Une telle mesure serait accessible à l’ensemble des petits agriculteurs qui représentent 54% des fermes du Québec (100 000$ de revenus bruts et moins).

« Ces petites fermes, pour la plupart, ont rarement vu l’ombre d’un sou du gouvernement tout en produisant une agriculture de haute valeur économique, environnementale et sociale. Ce contrat du rapport St-Pierre viendrait apporter aux petites fermes sur une période minimale de 3 ans une aide annuelle pouvant atteindre 10 000$, pouvant être portée à 15 000$ pour une entreprise certifiée biologique. Cette aide prend la forme d’un contrat de services pour les contributions environnementales et sociales de la ferme. »

Dans une entrevue accordée récemment au journaliste des questions agricoles et rurales, Lionel Levac, Michel Saint-Pierre, aujourd’hui co-président avec le professeur Guy Debailleuil, de l’Institut Jean-Garon, se prononçait sur le besoin de moderniser la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, pour être en phase avec les évolutions du monde rural des dernières décennies[4]. Il déclarait notamment en réponses aux questions posées :

Les modifications que l’on souhaite voir apporter à la loi ce n’est pas pour affaiblir la protection des terres, mais c’est pour l’ouvrir à d’autres modèles d’agriculture et de permettre de redynamiser les régions car il y a protection et vitalité et les deux ne vont pas nécessairement de pair (dans la loi). On a protégé les terres mais dans les milieux éloignés des grands centres urbains on ne peut pas dire que le résultat est si bon en matière de vie agricole et rurale. C’est le principal constat et l’axe principal de notre démarche à l’Institut Jean-Garon. C’est-à-dire comment trouver une façon d’alléger certaines règles d’application de la loi de façon à permettre une agriculture plus diversifiée, ce que préconisait le rapport Pronovost. (…)

La grande question est la suivante : Est-ce qu’il est possible d’avoir une loi qui respecte la double réalité géographique des terres agricoles (zones périurbaines des grandes agglomérations où sont concentrés les meilleurs sols, et territoire zoné en régions intermédiaires et périphériques souvent marqué par la spirale de la dévitalisation) ? Il y a le Québec des grandes villes et le Québec des régions. En périphérie des grandes villes il y a lieu de continuer à être sévère, alors que dans le contexte des régions on pourrait aborder différemment la question de la protection des terres. À l’Institut Jean-Garon nous croyons qu’il est possible de faire évoluer la loi pour que ces deux réalités du Québec agricole soient respectées et conciliées.

Mais présentement on a une loi de modèle unique qui s’applique de la même façon qu’on soit dans les riches terres de la plaine de Montréal ou dans le Bas-St-Laurent où l’activité agricole ici est particulièrement fragile, à titre d’exemple.

Levac : Au gouvernement du Québec on est à penser à moderniser la loi. Est-ce qu’on doit le faire dans cette optique, c’est-à-dire d’y ajouter cette notion de développement global des régions, du maintien ou de stimulation d’activités parallèles à l’agriculture, plutôt que de strictement mettre une clôture verte autour des terres?

Saint-Pierre : Oui, c’est tout à fait ça. Il y a eu de belles initiatives qui sont parvenues, de peine et de misère, à se réaliser et qui ont permis l’implantation d’entreprises et de fermes de modèles différents et qui contribuent à une certaine forme de renaissance agricole et rurale en région. De telles initiatives doivent être encouragées et supportées. C’est pourquoi la loi du zonage agricole doit faire preuve d’ouverture dans ce sens, et c’est sur quoi nous travaillons à l’Institut Jean-Garon.

On ne sait pas encore quel genre d’ouverture, quelles modifications spécifiques sont à introduire et comment ce doit être écrit sans affaiblir ce qui est là. Mais je pense que tout le monde est ouvert à la nécessité d’ajustements pour moderniser la loi. (…)

À la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ) on objecte souvent, face au besoin d’ouverture, que la vocation de la Commission est d’appliquer la loi et que les règles qui régissent cette application ne permettent pas beaucoup d’ouverture : « la loi c’est la loi ». Son écrit-même est celui de la protection des terres agricoles pour un usage précis et avec pour référence le modèle de ferme qui était en vigueur dans les années 70-80 et que l’on voulait perpétuer. Or une loi est appelée à évoluer. C’est la mission que l’on s’est donnée à l’Institut Jean-Garon, soit de proposer des avenues d’ajustement, de modernisation, qui, sans dénaturer la loi et la rigueur qu’elle doit avoir, au moins dans les secteurs périurbains des grands centres, puissent conduire, notamment en région, à plus d’ouverture face à des initiatives (de diversification en termes de taille, de modèle de gestion et de multifonctionnalité qui contribuent aux efforts locaux de redynamisation économique et sociale).

Levac :  Qu’en est-il de l’idée d’autoriser la subdivision de terres pour la création de plus petites fermes dans le but de faciliter l’accès à la propriété agricole à des jeunes et à de nouveaux modèles d’agriculture ?

Saint-Pierre : Oui, aujourd’hui c’est quelque chose de tout à fait envisageable et faisable et que l’on pourrait justifier. Mais dans l’esprit d’il y a 40 ans cela aurait été une hérésie. Aujourd’hui le contexte a changé, la demande des citoyens est différente, les circuits courts c’est dans l’air du temps, on ne parlait même pas de cela il y a 40 ans, l’expression n’existait même pas. Ce retour à une certaine agriculture de dimension familiale, et d’une seule famille, c’est quelque chose qui nous apparait tout à fait faisable et on a de beaux exemples à citer.

(Dans la perspective d’ajustements apportées à la loi) on doit être capable d’écrire quelque chose et d’avoir un jugement qui permette à des initiatives de recevoir un feu vert et non pas des refus systématiques parce que ce n’est pas selon l’écrit. 

Le secteur agroalimentaire ne fait plus le développement rural

Sur la relation de l’agriculture et de la transformation de ses produits avec le développement rural, les rapports Ouimet et Saint-Pierre sont d’accord avec ce constat clairement identifié et présenté en ces termes dans le rapport Pronovost :

Au Québec, nous devons composer avec le fait que même en milieu rural, les personnes actives dans le secteur agroalimentaire ne représentent que 6,4 % de la population. De toute évidence, elles ne peuvent à elles seules assurer la viabilité des municipalités rurales, même si leur activité constitue souvent l’assise du développement économique local. 

Il est donc essentiel, dans une vision territoriale du développement, de favoriser le démarrage de projets économiques complémentaires. Ces activités ne peuvent pas toujours être menées en dehors de la zone agricole permanente. Solidarité rurale du Québec rappelait que « le territoire rural est multifonctionnel ». L’équilibre de ses différentes fonctions est fondamental pour un développement harmonieux. La segmentation du milieu rural par la prédominance excessive d’une fonction dans un territoire donné rend celui-ci vulnérable sur les plans économique, social et environnemental. Tout en accordant une nette préséance à la production agricole dans la zone verte, il faut rendre possible la réalisation de projets issus notamment de l’agrotourisme et des activités qui peuvent y être associées. On doit aussi utiliser de manière nettement plus optimale que nous l’avons fait jusqu’ici le potentiel que représente l’agroforesterie. De plus, il est essentiel d’accroître dans les régions les activités de transformation des produits alimentaires. Cette grande industrie a tendance à s’implanter à proximité des principaux marchés de consommation; aujourd’hui, a souligné Solidarité rurale du Québec, près de 80 % du PIB québécois de la transformation alimentaire est assuré par la région métropolitaine de Montréal. En conséquence, la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois recommande :

  • Que le territoire agricole serve d’assise au développement rural, dans une perspective de multifonctionnalité de l’agriculture et d’occupation dynamique du territoire. À cette fin :
    • Que la Commission de protection du territoire agricole du Québec établisse une liste d’activités admissibles à certaines conditions dans la zone verte, et qui ne nécessiteraient plus son approbation préalable. Cette liste pourrait notamment comprendre l’installation de certains types de fermes sur de petites superficies. Qu’en plus, à l’égard des projets qui ne paraissent pas sur la liste d’activités établie par la Commission de protection du territoire agricole du Québec, cette dernière révise ses règles d’application afin que soient également autorisées dans la zone agricole permanente des activités de production agricole et de transformation qui utilisent une faible superficie de terre, qui requièrent des installations de plus petite taille, qui combinent des activités agricoles et des activités complémentaires ou dont les promoteurs ne souhaitent pas se consacrer à plein temps à l’agriculture, étant entendu que ces projets doivent être viables et gérés par des personnes ayant les compétences requises pour les mener à terme. 

L’approche globale préconisée ici présente d’évidents avantages dont celui de situer la zone agricole permanente dans la dynamique du territoire rural et permet aux instances locales de mettre en œuvre une vision multifonctionnelle du territoire. 

La campagne, territoire d’avenir

Avant de clore ce texte, il est une autre réalité du monde actuel qui n’est pas sans lien avec la réflexion pour des ajustements à la LPTAA. Il s’agit de la montée en puissance de l’intérêt des résidents des grandes villes à l’égard des milieux ruraux, souvent éloignés des centres. Alors que les six dernières décennies nous ont habitués aux phénomènes de dévitalisation économique et démographique, d’appauvrissement et d’exode des campagnes au profit du mouvement de métropolisation, voici que depuis quelques années la ruralité redevient désirable et honorablement viable.

La campagne, avec ses petites villes et villages, apparaît aujourd’hui comme une alternative enviable pour l’installation de travailleurs, de familles et d’entreprises. Ce qui est une bonne nouvelle car cette attractivité reconquise des milieux ruraux se traduit par l’arrivée d’idées, de compétences et d’énergies nouvelles pour la redynamisation des campagnes. Et du point de vue de l’aménagement du territoire on peut dès lors envisager comme réaliste une occupation déconcentrée du territoire et un meilleur équilibre de la vitalité territoriale à travers l’ensemble des régions. Plusieurs indicateurs et sondages réalisés ici et ailleurs témoignent de cette tendance qui redéfinit le sens et le rôle de la ruralité dans la modernité.

Cette déconcentration en puissance est attribuable aux caractéristiques de l’économie postindustrielle du 21e siècle, de plus en plus immatérielle (révolution numérique) et affranchie de la contrainte des économies de proximité ; attribuable aussi aux dysfonctionnements des grandes villes qui constituent pour plusieurs une dimension répulsive; aussi à la quête d’une meilleure qualité de vie et à la transition écologique qui remettent en cause plusieurs comportements associés au mode de vie dans les grandes villes. Celles-ci sont dès lors perçues comme des destinations imposées par leur offre d’emplois et leurs ressources éducatives.

Les grandes villes ne font plus rêver alors que les régions et le monde rural sont de plus en plus enviés, fréquentés et choisis comme lieux de vie, de production et de travail. Il y a dans ce nouveau contexte économique, technologique, social et environnemental, une chance à saisir pour repenser l’espace habité et la répartition de la force d’innovation, de création et de production. La grande ville n’est plus le seul lieu d’innovation.

Mais pour que cette déconcentration et cet équilibre entre les aires métropolitaines et le reste du territoire puissent s’accomplir dans de bonnes conditions, l’espace rural doit être ouvert et accueillant aux nouveaux arrivants, ex-citadins et immigrants. Nous croyons qu’il est possible qu’il en soit ainsi sans que les deux principaux objectifs de la LPTAA ne soient relégués ou dévoyés. Dans la zone agricole permanente, il y a de très nombreux secteurs et ilots ayant peu ou pas de réel potentiel agricole qui mériteraient d’être rendus disponibles à des usages autres qu’agricole ou forestier. Ce qui se concrétiserait dans le cadre de schémas d’aménagement et d’urbanisme revisités dans une perspective raisonnée de multifonctionnalité de l’espace agricole et rural.

Le zonage agricole doit tendre à une pratique harmonisée avec l’aménagement du territoire et les stratégies de développement local et régional, notamment là où la faible qualité des sols invite à des usages autres que l’agriculture dans le cadre de stratégies intégrées de développement rural.

Des pistes pour les ajustements nécessaires à la LPTAA

Les modifications à apporter à la loi concernent les règles d’application, c’est-à-dire des mécanismes techniques. Mais la réflexion ne peut se résumer à cette dimension technique. Des aspects géographiques, socioéconomiques et environnementaux sont à prendre en considération en amont. C’est donc d’un projet global d’occupation et de vitalité des territoires dont il est question.

Se pose alors un défi de vision et de philosophie de développement de l’espace habité dans une perspective de développement durable. Cette vision et cette philosophie du développement ne peuvent se concrétiser sans lien ni articulation avec les grandes orientations gouvernementales en matière d’aménagement du territoire (OGAT). L’État est-il disposé à adopter une Politique nationale d’aménagement du territoire comme le réclame l’Alliance Ariane et les très nombreux organismes, spécialistes, municipalités et MRC ?

Sur le plan purement technique, les très nombreuses expériences en vigueur à travers le monde pour assurer la maîtrise du foncier, protéger les terres agricoles, freiner l’étalement urbain, accompagner les efforts de revitalisation des milieux ruraux et des petites villes, créer des ceintures vertes, contraindre à la densification, etc. peuvent procurer, sinon des solutions « clé en main », de riches enseignements et sources d’inspiration pour adapter et améliorer les règles d’application de la LPTAA. Des pays tels la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suisse, les pays Scandinaves, etc., procurent un répertoire large et varié de lois, règlements et mesures en ces matières.

Conclusion

On ne prend pas encore toute la mesure de ce que cette loi a apporté au Québec rural et au Québec tout entier. Elle est perfectible et on y parviendra.

Le génie et la vision contenus dans LPTAA atteindront leur plénitude lorsqu’une politique agricole viable et durable favorisera une utilisation optimale des terres protégées (ce qui suppose une diversité de modèles en agriculture et les programmes techniques et financiers appropriés de soutien), et que des mesures à la fois économiques, sociales, culturelles et environnementales, à travers une approche transversale, assureront la spécificité, la promotion et la pérennité de l’identité rurale québécoise bien inscrite dans la modernité, convenant que modernité n’est pas synonyme d’urbanité et que conséquemment les milieux ruraux ne sont pas en attente d’urbanisation.

Comme on vient de le voir, et de façon unanime parmi ceux qui se sont penchés sur la question, il est devenu impératif que les règles d’application de la LPTAA soient modifiées à la fois pour corriger certaines déviances et pour des ajustements à des réalités agricoles, rurales et régionales qui ont beaucoup évolué depuis 1978. Aussi pour faire du zonage agricole un véritable outil, voire un moteur, dans les interventions d’aménagement et de développement territorial. L’objectif d’une telle démarche de modification des règles d’application est double : durcir la loi pour la protection des bons sols agricoles principalement dans les zones périurbaines des grands centres, et assouplir cette protection dans le cas des sols ayant peu ou pas de potentiel agricole, souvent situés dans les municipalités en dévitalisation qui ont grand besoin d’ouverture et d’initiatives en termes de diversification économique.

Ceci dit, la LPTAA est un acquis majeur, exceptionnel, dont la matière brute requiert aujourd’hui des ajustements, un polissage en quelque sorte qui saura ajouter aux mérites enviés de cette pièce législative au service de l’agriculture et du développement local et régional.

Textes complémentaires

Voir le chapitre IV titré La protection du territoire agricole: bienfaits et méfaits d’une loi, de mon ouvrage La Passion du rural : 

https://geo.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/70/La-passion-du-rural-T1-1.pdf

https://www.lesoleil.com/opinions/point-de-vue/trente-ans-de-zonage-agricole-il-faut-renforcir-et-assouplir-19437692b03da10c6964f85bef6dd228


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Pour une nouvelle vision du développement territorialEt si nous assistions à la renaissance des régions?
« Tous ruraux » : comprendre et saisir le potentiel des nouvelles ruralités
Quelques éléments de réflexion relatifs aux Orientations gouvernementales en matière d’aménagement et de développement du territoire

[1] Rapport de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, dit rapport Pronovost, janvier 2008, Ministère de l’Agriculture, des Pêches et de l’Alimentation du Québec, janvier 2008, 274 p.

[2] Voir : https://www.mapaq.gouv.qc.ca/fr/publications/rapportOuimet_WEB.pdf

[3] SAINT-PIERRE, Michel (Secrétaire général associé, ministère du Conseil exécutif et ancien sous-ministre à l’agriculture); Une nouvelle génération de programmes de soutien financier à l’agriculture. Pour répondre aux besoins actuels et soutenir l’entrepreneuriat. Février 2009, Gouvernement du Québec, 60 p.

[4] Écouter l’entrevue : https://agroquebec.quebec/protection-terres-agricoles-institut-jean-garon/

Bernard Vachon, Ph.D.

Professeur retraité du département de géographie de l’UQAM

Spécialiste en développement local et régional et Québec rural

30/10/19

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