UNIVERSALISER ET ADAPTER LE SOUTIEN À LA PRODUCTION AGRICOLE

Programme phare du soutien à la production agricole, l’assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA) a été créée en 1975, après une longue lutte des producteurs pour améliorer leur sécurité financière.  On estime que 40 % des productions agricoles sont protégées par l’ASRA tandis qu’une autre tranche de 40% est couverte par les mécanismes de la gestion de l’offre. La plupart des autres secteurs bénéficient uniquement de la protection générale contre les aléas climatiques (assurance récolte) et de divers autres programmes (ex. financement).

 

Il en résulte une situation doublement inéquitable. Les entreprises actives dans les secteurs les plus organisés, et souvent de grande taille, peuvent généralement bénéficier des programmes de soutien les plus structurants. Celles qui en sont exclues sont le plus souvent de petite taille et actives dans des productions moins importantes ou en émergence.

 

Les grandes mesures de soutien visent les impacts observables et mesurables en termes de pertes de revenu. Or, en amont, d’innombrables éléments de fragilité engendrent des risques non pris en compte et susceptibles de s’intensifier, dont voici les principaux ingrédients:

– des changements climatiques à la portée et aux conséquences difficilement prévisibles;

– l’évolution des règles du commerce mondial, avec des menaces quant à la gestion de l’offre: renégociation de l’ALENA, Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, Partenariat transpacifique global et progressif;

– la dégradation des ressources et l’impact de l’utilisation de certains intrants: bioaccumulation de pesticides avec leurs effets sur l’environnement et la biodiversité, sur-fertilisation et compactage des sols, etc.

–  l’inflation galopante de la valeur des terres agricoles.

 

Ces « ingrédients » s’imbriquent en diverses combinaison, auxquelles s’ajoutent des   risque sous-estimés ou latents. Mentionnons le manque de formation face à la complexité toujours croissante des pratiques agricoles, les exigences accrues des consommateurs,  les  niveaux d’endettement générés par la valeur des terres, de la machinerie et des quotas, les  blocages dans les mécanismes de mise en marché, etc.

 

Les programmes actuels de soutien des revenus n’ont pas que des effets positifs. Ils orientent nettement les façons de produire et le choix des productions. Il en résulte ainsi une différenciation importante dans la répartition des productions sous ASRA sur le territoire québécois, ce qui affecte le développement régional et le potentiel de multifonctionnalité de l’agriculture. Bien que cela ne puisse être toujours clairement démontré, ces programmes ont aussi des impacts négatifs sur l’environnement, en plus d’être source d’iniquité entre les producteurs et entre les régions.

 

Et ça coûte de plus en plus cher, sans rien régler. Cette approche permet de réagir à des crises, comme un médicament pour soigner une maladie, mais elle ne s’attaque pas aux causes pour tenter de les contrer ou en atténuer les impacts. Elle agit encore moins en mode préventif. Oui, il y a des risques inévitables. Il est néanmoins possible de les réduire mais il faut changer d’approche.

 

Le Sommet sur l’Alimentation a évoqué des investissements considérables pour les prochaines années (15 milliards $ d’ici 2025) mais il n’y avait pas d’indication sur la manière dont ces sommes allaient être injectées dans l’économie. En fait, ce n’est pas seulement le quantitatif qui compte; il y a aussi le qualitatif (le comment). Si on continue comme avant, on fera toujours face aux mêmes obstacles et problèmes, dont certains vont en s’amplifiant, et il n’y aura pas de réel progrès.

 

Sans tout rejeter du système actuel, il faudrait investir dans un esprit plus préventif pour mieux gérer les coûts de production. Ainsi, on devrait mettre beaucoup plus l’accent sur la recherche, les transferts technologiques, la formation et l’accompagnement des producteurs agricoles sous divers angles, tel qu’exposé pour une autre orientation ci-dessous (Éduquer et former…). Pour ne donner que quelques exemples: améliorer les connaissances sur la génétique, diffuser des pratiques minimisant le recours aux opérations mécaniques et l’utilisation de pesticides, assurer une meilleure connaissance de l’environnement (état des sols, bandes riveraines, biodiversité), en montrant notamment comment faire travailler la nature pour diminuer les pertes dans les cultures (ex. agroforesterie, permaculture).

 

Tel que décrit en 2009 dans un rapport complémentaire au rapport Pronovost[1], un soutien à la production agricole sur une base universelle ou « découplée », à savoir non lié à une/des production(s) spécifique(s), pourrait favoriser une plus grande équité entre les producteurs agricoles, entre les diverses productions et entre les régions. Il permettrait aussi de tirer profit de nos avantages comparatifs d’agriculture nordique.

 

Il y aurait également intérêt à tabler sur un renforcement du tissu social et à miser davantage sur la santé et l’environnement. Cela permettrait d’établir des collaborations avec les populations locales et de développer une solidarité facilitant l’acceptabilité sociale, la cohabitation avec les pratiques agricoles et le façonnement d’un cadre de vie de qualité.

 

L’approche du Rapport Pronovost propose un menu consistant pour amorcer ce virage.

 

Des ressources financières adéquates et optimales

 

– Une entente avec le gouvernement fédéral pour un programme bonifié de stabilisation des revenus agricoles et une intervention adéquate en cas de catastrophe naturelle (#2).

– Des correctifs au programme ASRA pour assurer un traitement plus équitable des producteurs participants et éviter une « surcompensation » (#4):

. L’indexation annuelle des coûts de production et des rendements dans le calcul du revenu stabilisé (#4.1);

. L’établissement des coûts de production à partir des données représentant la moyenne de 75 % des entreprises les plus performantes (# 4.2);

. Le plafonnement du niveau de contribution et de compensations par ferme (#4.3).

 

Un soutien universel

 

– Un programme de soutien qui remplacerait graduellement l’ASRA pour les productions non admissibles et non assujetties à la gestion de l’offre (#5), selon ce qui suit :

. universel, c’est-à-dire que toutes les productions soient admissibles (#5.1);

. soumis à l’éco conditionnalité (#5.2);

. géré par La Financière agricole du Québec (#5.3).

– L’aide financière de ce programme de soutien à l’entreprise agricole couvre (#6):

. Un soutien de base pour l’ensemble des producteurs, sauf pour les productions sous gestion de l’offre, avec un maximum de 150 000 $ par ferme par année; ce montant  serait versé annuellement, tant que la production continue et serait indépendant du type de production et de la quantité produite (#6.1);

. À ce paiement pourrait s’ajouter un paiement modulé selon (#6.2) les caractéristiques biophysiques et des pratiques agricoles améliorant l’environnement (#6.2.1 à #6.2.3).

 

Une aide particulière à la transition

 

– En parallèle et en complémentarité du programme universel, une aide particulière à la transition pour les agriculteurs (ou un regroupement) intéressés à revoir leur mode de production ou à réorienter leur production pour les situations suivantes (#7):

. La réorganisation de la production pour réduire les coûts de production ou améliorer les rendements (#7.1);

. La conversion vers la production biologique (#7.2);

. La mise en place d’une activité complémentaire de transformation à la ferme (#7.3);

. Le développement d’un produit différencié (#7.4);

. L‘introduction d’une production complémentaire (#7.5);

. Le changement de production (#7.6);

. Le financement d’une infrastructure pour la viabilité de l’agriculture en région (#7.7).

–  L’aide particulière à la transition pourrait couvrir diverses dépenses (#8), telles que :

. plan d’affaires,  remplacement de l’agriculteur par un employé de la ferme, formation, services-conseils, investissement, congé d’intérêt, etc. (#8.1 à #8.6).

 

[1] Michel R. Saint-Pierre (2009), « Une nouvelle génération de programmes de soutien financier à l’agriculture », Ministère du Conseil exécutif

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